Une histoire familière de reconnaissance et d'émancipation
- olancelin
- 3 avr.
- 3 min de lecture

« Le regard des autres est une cage dont il faut savoir s’échapper. »
Albert Jacquard
Enseigner le coaching, c’est enseigner quelques tours de mains, mais aussi la posture appropriée. Celle que nous valorisons par-dessus tout est celle de l’humilité. Nous ne faisons pas de miracles, nous ne savons pas à la place des autres, nous n’avons pas à nous mettre en avant.
Pourtant, lorsqu’un coaching est terminé nous demandons souvent à nos clients : « Qu'est-ce que le coaching vous a fait changer que vous n'auriez pas pu faire par vous-même ? ». Cette question a dérouté quelques étudiants, que j’ai eu la chance d’accompagner récemment.
Comme si humilité et feed-back ne rimaient pas ensemble. Comme si demander un feed-back était reconnaitre le besoin de reconnaissance de notre travail. Et que ce besoin de reconnaissance n’avait pas sa place dans la relation avec nos clients.
Nous vivons dans un paradoxe : d’un côté, la reconnaissance est essentielle à notre bien-être psychologique (comme l’ont montré des penseurs comme Maslow avec sa pyramide des besoins) ; de l’autre, il est mal vu de la réclamer ouvertement. On valorise l’humilité, l’altruisme, l’idée qu’il faut « donner sans attendre en retour ». Mais est-il vraiment possible de se détacher totalement du regard des autres ?
Derrière cette fausse pudeur, il y a souvent une peur du jugement. Celui qui exprime son besoin de reconnaissance risque d’être perçu comme narcissique, dépendant de l’opinion des autres. La vérité est que nous guettons cette reconnaissance de plein de manières. Un merci, une nouvelle sollicitation, une recommandation, un regard, un mot, un acte accompli après un échange avec nous, j’oserais dire grâce à nous.
La reconnaissance ne signifie pas forcément flatter l’ego de manière excessive, mais simplement valider l’existence et les efforts de chacun. Il est possible de chercher la reconnaissance sans tomber dans l’obsession de l’approbation externe pour chacun de nos actes.
« Le besoin d’être reconnu est inséparable de la nature humaine. » disait Simone Weil. Nous construisons l’estime de nous en partie dans le regard de l’autre. Faire partie du groupe, être validé par nos congénères est un des piliers de notre sécurité affective. Même si nous vivons dans une société bien souvent individualiste, la peur de ne plus être accepté reste ancrée en nous.
Jean-Jacques Rousseau pensait que « La fausse pudeur est le masque des âmes froides. » S’affranchir du regard d’autrui, dans cet élan de modestie, serait se mettre dans une distance émotionnelle avec nos interlocuteurs, quels qu’ils soient, et nous couper de l’essentiel de la relation : l’empathie et le transfert émotionnel qui rejaillit sur chacun et chacune. Je m’explique, si je pleure avec vous, je compatis aussi à votre peine, si je ris avec vous, je renforce l’alliance, si j’accepte mon besoin de reconnaissance, je vous ouvre à votre propre besoin de reconnaissance et de gratitude.
Coach ou non, nous avons toutes et tous besoin de reconnaissance et nous sommes bien évidemment influencés par le regard d’autrui. Pour autant, cela ne doit pas nous faire dévier de notre trajectoire, de notre vérité et de notre authenticité. Nous ne pouvons pas plaire à tout le monde. Se libérer du regard des autres ne signifie pas vivre dans l’indifférence totale, mais plutôt apprendre à exister sans que notre valeur soit dictée exclusivement par l’opinion extérieure. « Le regard des autres est une cage dont il faut savoir s’échapper. » disait Albert Jacquard. C’est un chemin difficile, mais il mène à une plus grande liberté de conscience de nos choix et de nos paroles.
Référence bibliographique
« Moi et les autres » (1983) – Albert Jacquard
Dans cet ouvrage, Albert Jacquard explore la construction de l’identité individuelle en lien avec les autres. Il déconstruit l’idée d’un « moi » indépendant et met en avant l’interdépendance humaine : nous nous définissons à travers nos interactions et le regard que les autres portent sur nous.
Un essai accessible qui mêle sciences humaines, philosophie et génétique pour proposer une réflexion humaniste sur le vivre-ensemble et l’identité.
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